Ecole : L'heure de la vérité

Le grand débat sur l'école est une énorme machine lancée sur une voie qui paraît - hélas ! - toute tracée. Mais, lourde de 60 millions de participants potentiels, elle pourrait aussi s'emballer. Et déborder ses organisateurs...

L'idée d'un grand débat sur l'école n'est pas neuve.

Rien qu'au cours des dix dernières années, c'est en effet la cinquième fois qu'une consultation de grande ampleur est lancée sur le sujet. Pour mémoire, il y avait d'abord eu plusieurs mois de tables rondes en région, sous l'égide de François Bayrou. Puis les neuf millions de questionnaires envoyés aux jeunes par le gouvernement Balladur. Suivis, moins d'un an plus tard, par une tournée d'auditions menées à travers toute la France par la commission Fauroux.

Et enfin, la consultation nationale des lycéens, imaginée par Claude Allègre. Dix ans d'écoute et de maxi-sondages, étayés par plus d'une centaine de rapports et de colloques d'experts, sans aucun résultat tangible : notre système éducatif n'a jamais dévié du sillon tracé après la guerre par le plan des communistes Paul Langevin et Henri Wallon, en désespérant chaque année davantage les enseignants qu'il emploie, les élèves qu'il est chargé d'instruire, et les parents qui n'ont pas d'autre choix que de lui confier leurs enfants.

Et presque tous feignent d'ignorer que l'énormité même de cette consultation la condamne à la confusion : 15 000 réunions publiques, organisées depuis le 17 novembre et jusqu'à la mi-janvier, un forum ouvert à tous depuis plus d'un mois et pour une durée d'un an sur internet, des dizaines de contributions écrites adressées à la commission du débat par tous les syndicats ou associations qui gravitent autour de l'Education nationale, des enquêtes et des sondages menés sur le terrain auprès des populations qui pourraient ne pas participer spontanément aux discussions publiques, le tout encadré par des initiatives de même nature, mais «complémentaires» aux travaux de la commission, organisées par l'UMP, le Medef, la Ligue de l'enseignement, le PS, le Conseil national des programmes ou le Sénat... le moins que l'on puisse écrire est que cela fait beaucoup. Et que l'on ne voit pas comment il pourrait en sortir une synthèse intelligible, ni surtout conforme aux voeux de la majorité de ceux qui se seront exprimés.

«L'important, ce n'est pas ça», répond Claude Thélot, président de la commission nationale chargée de l'organisation du grand débat, ainsi que de la rédaction du rapport final qui le clôturera à la fin du mois de septembre : «L'important, c'est l'existence même de ce débat. La démocratie ne pourra en sortir que plus éclairée, mieux informée. Et vous me permettrez de citer Goethe à ce sujet : "L'important, ce n'est pas le but. C'est le chemin."«


Une formidable occasion de s'informer


Nous voilà donc prévenus... de façon on ne peut plus claire. Peu importe ce qui sera dit, ou ce que les 15 000 animateurs des réunions publiques décideront d'en retenir : on nous balade.

«Claude Thélot n'est pas quelqu'un en qui on peut avoir confiance», assène Gaëtan Cotard, enseignant et dirigeant de l'association Sauvez les lettres, qui milite contre la dégradation de l'enseignement général : «Lorsqu'il était directeur de l'évaluation, il ne donnait déjà pas les résultats des tests quand ils étaient mauvais. Il ne les publiait pas, le temps de modifier les exercices ou la façon de les noter, afin de pouvoir continuer à dissimuler la baisse du niveau et les résultats désastreux des méthodes imposées aux enseignants.»

Des doutes que partage également Rachel Boutonnet, une jeune institutrice qui vient de publier un témoignage hallucinant sur «l'enseignement» prodigué dans les IUFM, ces Instituts universitaires de formation des maîtres que Lionel Jospin a créés en 1989 pour remplacer les anciennes écoles normales :

«Je trouve ça bizarre, étrange, ce grand débat. Parce qu'on n'a quand même pas besoin de ça pour savoir ce qui se passe dans les écoles : il suffit d'aller sur le terrain, d'écouter un peu. On sait très bien ce qu'il faudrait revoir de toute urgence : le contenu des programmes, les méthodes d'apprentissage, ce qu'on apprend, ou n'apprend pas, aux futurs enseignants dans les IUFM. Alors, consulter tout le monde là-dessus... pourquoi pas ? Mais je crains que ça revienne à découvrir la Lune !»

Le ministre de l'Enseignement scolaire et coauteur avec Luc Ferry de l'idée d'un débat national, est évidemment moins pessimiste. Mais à peine. Car ce fameux débat, il ne l'imaginait sûrement pas si grand, ni portant sur autant de sujets à la fois : «Il s'agit d'une occasion unique de faire parler ceux qui ne parlent jamais. Mais il existe un risque que l'effet de masse tue l'effet de sens. Et un autre que la parole soit confisquée par les experts ou par les groupes de pression. Je crains aussi que certains parents ne se déplacent que pour exprimer des desiderata personnels, dans un état d'esprit consumériste, un peu comme on va faire ses courses. Nous comptons beaucoup sur les animateurs pour éviter tout ça. Mais, à supposer même qu'il n'en sorte rien, je suis sûr qu'il en restera quelque chose de très important pour l'avenir : les familles vont devoir s'informer. Elles vont pouvoir se réapproprier le sujet de l'école dans une ambiance apaisée, conciliante, constructive, et pas comme d'habitude, pas à l'occasion d'une crise ou d'un affrontement avec les enseignants. C'est pour cela que je crois quand même qu'on finira par voir émerger les vrais problèmes

Façon polie de déplorer que ces vrais problèmes aient été noyés dans la masse des «questions officielles» proposées par la commission pour «encadrer» les discussions , et certainement pas de manière involontaire...
Mais sur le reste, le ministre parle d'or. Quelle que soit la façon dont il a été organisé, quelles que soient les éventuelles arrière-pensées de ceux qui le contrôlent, et quelle que soit son issue, ce débat n'en demeure pas moins une formidable occasion de s'informer, et peut-être de peser sur les choix futurs.

Car les enseignants, les élèves et leurs parents ne sont pas seuls concernés. Ce sont tous les Français en âge de s'exprimer qui sont invités à se poser des questions et à formuler un avis. Et même s'il est peu probable qu'ils parlent d'une seule voix, même s'il est d'ores et déjà prévu de ne pas les entendre, une fois qu'ils auront commencé à s'intéresser au sujet, il deviendra sûrement beaucoup plus difficile de les faire taire.

Écrit par Tim Lien permanent | Commentaires (0)

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